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Prison, au cachot des mots
08/12/2023 · 07:00
Jusqu’au 21/12, au théâtre de La Reine Blanche (75), Aymeri Suarez-Pazos propose Prison. Un cri désespéré, une parole déchaînée avant une probable incarcération… La violence des mots comme ultime rempart à la violence de la vie, un impitoyable réquisitoire.
Juste une table, une chaise : déjà le cachot ? Un homme seul soliloque, jeune encore… La douceur, pourtant, a fui depuis longtemps les courbes de son visage. Traits tirés, cernes aux yeux et rides au front, il semble déjà avoir perdu tout espoir. La vie, parfois, ne fait pas de cadeaux, chante le troubadour. Faut-il endurer la morne solitude derrière les barreaux d’une cellule pour expérimenter l’enfermement ? Au sol, une bande blanche délimite l’espace, la franchir est exclu, l’assignation à résidence est clairement balisée. Même quand table et chaise voleront en éclats, jamais les frontières ne seront violées. Tant physiques que psychiques ! Le débit est violent, ininterrompu. Les mots se bousculent, se fracassent et s’entrechoquent en bouche.
Aucun répit dans le flux verbal, le silence serait synonyme d’échec, de capitulation devant l’adversité. Il est dangereux pour l’intéressé, il implique mise à distance et réflexion, retour sur soi et interrogation. De la mère trop tôt disparue au père trop souvent absent, la vie n’est que brisures, fêlures et cassures. Frustrations et incompréhensions se nourrissent mutuellement, le manque est trop lourd et pesant. Tendresse, amour, affection ? Autant de mots inconnus à son vocabulaire, pourtant secrètement espérés en son imaginaire. Longuement ruminée, la rage l’absorbe, le déborde. Contre la société, les autres et lui-même… Ils vont le payer, la fille ou l’importun, et cher, un couteau fera l’affaire ! La digue est rompue, la mort seule avance nue : réelle pour la victime, symbolique pour l’agresseur.
Chaos du geste, de la pensée et du verbe, Aymeri Suarez-Pazos réussit une véritable performance, parfois à la limite du supportable pour l’auditoire. La fureur du propos mord la ligne blanche, le réquisitoire est impitoyable. En vue, aucune échappatoire : les portes du pénitencier se sont refermées, le bruit des verrous résonne durablement à l’oreille du spectateur.
Yonnel Liégeois