Théâtre : « Prison » de Aymeri Suarez-Pazos
par Laurent Schteiner | 9 Déc 2023
Le théâtre de la Reine Blanche nous convie à un seul en scène remarquable de Aymeri Suarez-Pazos. Ce solo s’avère être une performance de comédien tant artistique que physique. Premier volet d’une trilogie, Aymeri Suarez-Pazos décrit, avec des mots souillés d’une violence contenue, une poésie du désespoir. Ce premier opus dédié à la prison intérieure est le tremplin menant à la folie.
L’enfermement intérieur peut être aussi violent que l’univers carcéral. Et il se peut que ces deux univers puissent être intiment liés. C’est cette histoire que nous conte avec talent Aymeri Suarez-Paros. Privé, très jeune, d’un environnement familial structurant, un adolescent pré-adulte erre de foyer en foyer, de dérive en dérive. Ses mots s’entrechoquent dans son esprit torturé et malade. Spolié d’un amour essentiel à sa construction personnelle, il se crée un monde intérieur, seul exutoire lui permettant de contenir une violence endémique qui le ronge. N’être personne constitue son point de rupture susceptible de le rejeter sur les rives de la folie. Le verbe et son tourbillon de violence lui offrent un pendant à ce manque affectif, à cette reconnaissance défaillante sociétale. La réalité se télescope avec l’imaginaire. Tout est pensé ou rêvé en prenant pied dans une réalité qui se dérobe. Ce jeune homme, pris en étau dans son labyrinthe mental, devient alors une véritable bombe à retardement. L’univers carcéral boucle le destin d’une tragédie annoncée.
Aymeri Suarez-Pazos assure une véritable performance sur scène en traduisant la fuite en avant de cet homme pris dans les filets d’un double enfermement. Condamné à la perpétuité, il exhale sa violence, son incompréhension d’une vie pour rien. Un droit à exister dont il n’a pas pu se saisir afin de jouir de l’existence comme son entourage. Cette rage qui l’anime crée les conditions de sa chute. Le bruit des portes de cellules de prison, qui le fait sursauter, traduit une angoisse de fond d’un être en permanence sur la défensive. Ce récit aurait, peut-être, mérité un déroulé plus court mais ne boudons pas notre plaisir et saluons l’excellence de ce travail.
Laurent Schteiner