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Théâtre : « Prison », de, avec et mis en scène par Aymeri Suarez-Pazos au théâtre de la Reine blanche, à Paris.
Pierre François / 5 décembre 2023
Scotché !
Pierre François
« Prison » est un spectacle qui dit énormément de choses, mais à travers ses silences, ses ruptures, sa violence intime et la pauvreté de son vocabulaire. Car ce qui structure ce spectacle, c’est sa poésie, une poésie rude, rugueuse, à l’inverse de tout onirisme, qui fait ressentir non le réalisme d’une situation objective, mais celui dans lequel se débat la conscience d’un jeune auquel il manque bien des outils pour appréhender le monde.
Le spectateur se retrouve au cœur de cette conscience comme par effraction, aussi effrayé que fasciné par le destin d’une liberté altérée, par une volonté de fer, mais dont les choix ne sont pas toujours heureux.
La maîtrise de son sujet par le comédien-auteur est telle que l’on veut percer le mystère qui lui a permis d’accéder à cet accent de vérité, inédit. Quand on lui pose la question, c’est tout juste s’il ne répond pas qu’il n’y est pour rien. Car, comme de nombreux auteurs, ceux qui ont un réel univers en eux, il explique que quand il a commencé à écrire, c’était sous l’impulsion d’une voix intérieure dont, au début, il ne percevait pas l’identité. C’est ensuite qu’il a compris qu’il s’agissait d’un adolescent en rupture de ban à la suite de la mort de ses parents. Par la suite, jouant ce qui devait à l’origine être une nouvelle en milieu carcéral, les auditeurs comme les auditrices lui ont dit « c’est tellement nous qu’on ne pourrait pas en parler » et qu’une fois, il s’est même retrouvé avec, en face de lui, le double de son personnage.
Comment expliquer cela ? « C’est la magie de la poésie », dit-il. Et de poursuivre : « il y a deux façons d’écrire : pour informer ou émotive. S’il n’y a pas de chaos, il n’y a pas d’événement, de mise en jeu du langage et du rapport de l’homme à l’univers… il y a deux sortes d’auteurs : le démiurge, qui se situe au-dessus de ses créatures tel un marionnettiste, et le poète qui ignore où il va, mais qui effectue une traversée orphique des événements et du langage ».
Effectivement, cette descente aux enfers scotche le public. Heureusement que les enfers – au pluriel – n’est pas synonyme de l’enfer, au singulier, ce qui permet d’entrevoir une lumière…